Sirin et le chant de la Terre par l’œil
*Sirin, bachibouzouk, rognon, magnitude & croustade*
La croustade que devait faire mijoter le voisin embaumait par les fenêtres ouvertes. « Les nourritures terrestres », soupirai-je, pris de la furieuse envie de traverser les murs. Sur la table, la soucoupe posée sous une tasse me fit penser à tout ce que j'avais découvert en arrivant sur Terre. Tout ce qui avait laissé des empreintes en moi. Un petit pas, un grand pas? Pas tombé de la dernière pluie mais presque.
L'odeur de café me tournait la tête.
Depuis que je savais que tout n'était pas tout gris sur la planète bleue, j'aurais dû me méfier.
Le voisin à la délicieuse odeur sucrée se mit à assaisonner son fils comme un diable, possédé par le capitaine Haddock mais en beaucoup moins drôle.
« Bashi-bouzouk de crétin des Alpes, tu ne pouvais pas te le mettre tout seul ton DVD de la Guerre des Mondes, tu m'as fait rater ma croustade. T'es con comme un rognon ma parole!? »
Le type au glucose virait à l'aigre-doux et je n'aimais pas cela. Fermer l'œil, les oreilles tout? C'eut été trop facile. Pourquoi faire simple?
J'écoutai donc. Je ressentis. Une onde inquiétante, pénétrante, me parcourut. La soucoupe hoqueta et le café déglutit tout seul comme un p'tit corsé qu'il était. A la fenêtre, je ne vis pas les gens courir en tous sens, mais entendis tout autre chose que ce que le paysage me livrai. Un chant profond me parlait à moi.
Il était soyeux comme celui d'un oiseau multicolore haut perché sur la lune. Cette voix de femme s'adressait à moi dans une langue inconnue mais son charme m'arrivait comme porté par des ailes transparentes. Elle me dit s'appeler Sirin, que l'innommable n'était pas pour moi. Qu'elle était venue pour moi. Cette déesse, sirène des airs, devais-je la suivre quand le monde dehors devenait fou? Ne s'était-elle frayée un chemin dans les épais nuages que pour me faire oublier l'insulte sur l'enfant du voisin?
Elle me chanta longtemps à l'oreille. J'en perdis de nombreuses notions, et le temps qui va avec. Quand sa mélopée s'envola et se tut, comme après une éclipse, une partie de la terre du dehors ne bougeait plus. Plus rien ne tremblait sauf moi.
Pour savoir si tout tournait encore, je m'en remis aux ondes radio. Entre deux crépitements, le speaker masquant son affolement par un ton grave parla d'un « séisme d'une magnitude inégalée pour la région », de « scènes de désolation », de « jamais-vu de mémoire de sismologue ». Et moi, d'habitude si sensible aux événements d'ici-bas, aux caprices de la Terre, je n'en avais même pas le souvenir. J'étais passé à travers ce « big-one », par la grâce de Sirin. Près d'Icare, suspendu bien au-dessus des failles : les tectoniques et celles des Hommes.
Fin
